Le prince doit paraître (et non être)... "vertueux":
« Je sais que chacun confessera que ce serait la chose la plus digne de louanges que de trouver dans la personne d’un prince toutes les qualités que l’on reconnaît bonnes parmi celles qu’on vient de décrire [1] ; mais comme on ne peut ni les avoir toutes ni les observer entièrement, puisque la condition humaine ne le permet pas, il est nécessaire pour le prince d’avoir la prudence nécessaire pour savoir fuir la mauvaise réputation des vices qui lui feraient perdre ses possessions, et de se garder si possible de ceux qui ne lui font courir aucun danger. […]
Combien il est louable à un prince de tenir sa parole, de vivre avec intégrité sans employer la ruse, chacun en convient. Cependant, l’expérience de notre temps montre que les princes qui ont fait de grandes choses sont ceux qui ont tenu peu compte de leur parole, et qui ont su, grâce à la ruse, circonvenir l’esprit des hommes ; et à la fin ils ont vaincu ceux qui sont fondés sur la loyauté […]
Il n’est donc pas nécessaire pour un prince d’avoir toutes les qualités décrites plus haut, mais il est bien nécessaire de paraître les avoir. Même, j’irais jusqu’à dire que s’il les avait et s’il les observait toujours, elles lui porteraient préjudice. C’est en paraissant les avoir qu’elles sont utiles ; ainsi de paraître clément, fidèle, humain, intègre, pieux, et de l’être [..]
Il faut comprendre ceci : un prince, surtout un prince nouveau, ne peut observer toutes les qualités pour lesquelles les hommes sont reconnus bons, parce qu’il est souvent contraint s’il veut préserver ses possessions d’agir contre la parole donnée, contre la charité, contre l’humanité, contre la piété »
Machiavel, Le Prince 1513, traduction Thierry Menissier, Hatier, pp 76, 84 et 86.
[1]Machiavel vient de donner une liste de "qualités" ou plutôt de traits de caractères : libéral et avare, parjure et fidèle, cruel et plein de pitiié, plein d'humanité et orgueilleux etc. qui ne sont évidemment pas compatibles entre eux.